Semaine 38 – Suisse – Non déductibilité des pertes de conversion

Dans un arrêt du 1er octobre 2009 (2C_897/2008), le Tribunal fédéral avait jugé non déductibles de l’assiette de l’impôt les pertes de conversion. Cet arrêt avait suscité de vives critiques mais la non déductibilité de ces pertes avait été confirmée dans un autre arrêt, celui du 8 juin 2014 (2C_509/2013).

Le 31 août, le Tribunal fédéral, à nouveau saisi par trois recours indépendants, les trois toutefois dirigés contre des arrêts de la Cour de justice de Genève, a rendu trois nouveaux arrêts (2C_766/2014 ; 2C_767/2014, puis 2C_768/2014 ; 2C_769/2014 et enfin 2C_775/2014 ; 2C_776/2014) confirmant cette jurisprudence.

Le tribunal y précise qu’il avait antérieurement déclaré non déductibles les écarts de conversion parce qu’ils ne constituaient que des écritures purement comptables découlant du passage de la monnaie fonctionnelle à la monnaie de présentation, ne traduisant ainsi ni enrichissement ni appauvrissement de la contribuable ou, autrement dit, n’influençant pas la capacité contributive de celle-ci. Il rappelle ensuite que la principale critique qui lui était adressée portait sur les normes de conversion choisies, soit les normes IFRS, au lieu de celles du Manuel suisse d’audit (MSA) et des Swiss GAAP RPC ; ce choix avait pour conséquence de traiter sur le plan comptable les écarts comme des composantes distinctes des capitaux propres, sans passage par le compte de résultat, et partant, en neutralité fiscale.

Puis il confirme que la capacité contributive s’apprécie au regard de la seule monnaie fonctionnelle.

Le Tribunal fédéral lit dans les recours dont il est saisi une demande implicite de procéder à un changement de sa jurisprudence pour admettre désormais la déductibilité des pertes de conversion. Or « un changement de  jurisprudence – rappelle-t-il – ne se justifie, en principe, que lorsque la nouvelle solution procède d’une meilleure compréhension de la ratio legis, repose sur les circonstances de faits modifiés ou répond à l’évolution des conceptions juridiques ». Aucune de ces circonstances n’est présente en l’espèce, conclut-il.

Passant en revue la doctrine consacrée à sa jurisprudence, le tribunal s’accorde un auto-satisfecit en disant que « la doctrine ne critique donc pas unanimement cet arrêt, mais est partagée quant au bien-fondé du refus d’admettre la déductibilité des pertes de conversion en matière d’impôt sur le bénéfice ».

Puis, il rappelle que sa jurisprudence a été endossée par la Conférence suisse des impôts.

Enfin, « elle n’a pas entraîné de réaction du législateur par l’adoption de dispositions fiscales qui en auraient modifié ou restreint la portée ».

Cette argumentation est surprenante, pour dire le moins. A tort ou à raison, elle donne l’impression que le Tribunal fédéral cherche à justifier à posteriori,  par des arguments extra-juridiques, une jurisprudence dans laquelle il se déclare enfermé.

Des trois appuis dont le tribunal se prévaut, le troisième nous paraît presque choquant. Le tribunal invoque en effet sa jurisprudence désastreuse ; l’arrêt 2A.331/2003 du 23 juin 2006 (en matière de liquidation partielle indirecte) et l’arrêt 2C_11/2011 du 2 décembre 2011 (relatif à la définition d’immeubles agricoles et sylvicoles), qui avaient débouché sur une modification de la loi dans le premier cas et à une approbation de la motion déposée dans le second. Pour ce qui est des écarts de conversion, le Tribunal fédéral se réfère à une motion qui a été rejetée par le Conseil national sur proposition du Conseil fédéral, et à une autre, dont le rejet a également été proposé par le Conseil fédéral mais qui a été classé par le Conseil national, suite au départ de son auteur ! L’Assemblée fédérale aurait-elle vocation à devenir l’instance de recours contre les arrêts du Tribunal fédéral ?